PAR AJ ASCAGNE LE 19 février 2019
INTERVENTION DE MAITRE LAVOIR AU COLLOQUE « GARANTIE ET FINANCEMENT DES FILMS DE CINEMA »
1- Qualification des relations contractuelles
Avant même la question des garanties, j’insiste sur le fait qu’il est capital de qualifier correctement la nature des relations contractuelles entre les parties ayant financé ou contribué au financement d’une œuvre de cinéma.
En effet, le droit des Procédures Collectives distingue les créances nées postérieurement des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture : seules les premières peuvent être payées dans le cadre de la période d’observation d’un redressement judiciaire ou d’une poursuite d’activité en liquidation judiciaire à condition, au surplus, qu’elles soient « méritantes » c’est-à-dire utiles à la procédure. Les secondes sont gelées au passif et le règlement est incertain.
Pour les créances antérieures, la question de l’efficacité des garanties va donc se poser avec acuité mais si cette question peut même être évitée par requalification de la créance antérieure en créance postérieure c’est bien plus avantageux pour le créancier.
L’inverse est vrai puisque l’Administrateur Judiciaire va avoir tendance, en cas d’incertitude, pour défendre mieux les intérêts de son administré, à faire passer le maximum de créances dans la catégorie de créances antérieures.
Je vous donne deux exemples :
- Dans une affaire UGC International contre Filmedis venant aux droits de Euripide Productions, mon confrère Administrateur Judiciaire de Euripide Productions avait argumenté de la manière suivante pour que son administré puisse conserver l’intégralité des recettes générées par l’exploitation d’un film, recettes dont était délégataire la société UGC distributeur au titre du minimum garanti qu’elle avait versé quelques mois plus tôt à Euripide : « le versement du minimum garanti s’analysait, selon mon confrère, en un prêt, les fonds avaient été remis antérieurement à l’ouverture du redressement judiciaire. Il s’agissait donc d’une créance qui aurait dû être déclarée et UGC ne pouvait plus se rembourser sur les recettes postérieures ».
Le Tribunal de Commerce de Paris avait, dans une première décision, validé l’analyse de mon confrère mais la Cour d’Appel de Paris par arrêt du 7 octobre 2009 a analysé la relation contractuelle de manière bien différente : « le minimum garanti n’est pas un prêt « mais une part de recettes payée d’avance et éventuellement perdue par le distributeur ».
« Qu’ainsi le distributeur ne détient aucune créance sur le producteur « … » le contrat de distribution organisant un mécanisme d’amortissement de l’investissement du distributeur dans le financement du film ».
Je vous donne un autre exemple (relation inverse) :
- Cette fois il s’agit d’un distributeur qui n’avait pas versé à la date convenue le minimum garanti au producteur et qui est mis, peu après, en redressement judiciaire.
Le producteur m’interroge pour savoir s’il doit déclarer sa créance au titre du minimum garanti non reçu. J’ai cette fois considéré, à la lecture du contrat de distribution qui le précisait clairement, que la contrepartie du minimum garanti était le droit d’exploiter le film en salle et que le fait générateur de la créance était, par conséquent, la sortie du film en salle.
Cette sortie était intervenue postérieurement à l’ouverture de la procédure ; j’ai donc qualifié cette créance en créance postérieure et l’aie versée au producteur.
J’insiste donc sur la nécessité d’être précis dans la rédaction des contrats étant observé que beaucoup de contrats sont souvent un peu ambigu dans votre secteur d’activité.
2. Le droit de préemption dans l’hypothèse d’une cession
Dans les procédures collectives il y a deux types de cession :
● La première est la cession d’actifs isolés qui intervient plus généralement en liquidation judiciaire mais qui peut aussi intervenir en redressement judiciaire de manière ponctuelle.
Pour cette première catégorie de cession, il n’y a pas de difficulté et le droit commun s’applique en matière de droit de préemption dans tous les cas de figure et dans tous les domaines d’activité.
Le problème survient quand il s’agit d’une cession de l’entreprise ou d’une de ses branches d’activité conçue comme un ensemble autonome d’activité sur le fondement des articles L.642-2 et Suivants du Code de Commerce.
En effet dans ce cas l’objectif de la Loi est, en ordonnant la cession, de préserver l’activité et les emplois. Il faut donc que l’ensemble économique cédé soit cohérent et ne risque pas d’être disloqué par l’exercice de droit de préemption.
Le principe général est donc la soustraction de la cession d’entreprise au droit de préemption.
Toutefois, l’article L.642-5 alinéa 4 exclut expressément l’opposabilité des droits de préemption en matière de ruralité ou d’urbanisme mais il ne le fait pas en matière de propriété intellectuelle et il existe un article L.132-30 du Code de la Propriété intellectuelle qui est rédigé comme suit
« En cas de cession de tout ou partie de l’entreprise, l’Administrateur Judiciaire (ou le Liquidateur) est tenu d’établir des lots distincts par œuvres cédées pour l’exercice du droit de préemption des auteurs ».
La rédaction de cet article est significative puisque le législateur qui aurait pu simplement écrire « l’Administrateur Judiciaire établit… » a fait le choix d’une formulation beaucoup plus contraignante « l’Administrateur Judiciaire est tenu d’établir… » comme s’il anticipait en quelque sorte sur la résistance de l’Administrateur et affirmait de cette manière la primauté d’un ordre public, celui de la propriété intellectuelle sur l’ordre public économique.
Pour autant, la mise en œuvre de ce droit de préemption suscite d’importantes difficultés pratiques :
. Tout d’abord, il faut identifier les actifs et les droits qui les grèvent ; la lecture du RPCA n’est pas toujours simple car il faut analyser l’ensemble de la documentation contractuelle évoquée ce qui suppose des compétences particulières et donc un besoin de formation ou de spécialisation des Mandataires de justice. Nous militons d’ailleurs pour que le RPCA produise une fiche synthétique par œuvre qui récapitule les chaines de droit.
Ensuite, il faut identifier les auteurs avec des incertitudes :
. Par exemple, le compositeur d’une musique composée spécialement pour le film a-t-il la qualité de co-auteur du film ?
Il y a aussi la question des délais :
. Le L.132-32 prévoit qu’il faut notifier les auteurs ou producteurs un mois avant toute décision sur la cession ; la décision sur la cession au sens strict c’est le jugement du Tribunal mais on ne peut pas savoir à l’avance à quelle date il va être rendu pour pouvoir faire le rétro planning. Dans la pratique donc on notifie dès réception d’une offre ferme.
Il n’est pas prévu de délai à l’intérieur duquel le titulaire du droit de préemption doit se déterminer.
Enfin, cette question de délai s’articule mal avec le mécanisme d’améliorations des offres qui est prévue par les textes en Procédures Collectives puisque une offre peut être améliorée jusqu’à deux jours avant la date d’audience.
Il faudrait donc pouvoir renotifier à ce moment-là sans quoi on va perdre de la valeur.
En tout dernier lieu, il n’y a pas de mécanisme permettant le départage des co-auteurs ou des coproducteurs en cas de concurrence de l’exercice de droit de préemption.
Dans la pratique, le départage se fait un peu à l’usure : on attend qu’ils se mettent d’accord ou que les autres se découragent.
3. Délégation et cession de recettes en Procédure Collective
Le mécanisme de la délégation/cession de recettes est organisé par les articles L.123-1 du CCIA et L.124-2 du CCIA.
Le premier introduit une distinction entre les délégations et les cessions d’une part , puis pour chacune de ces catégories, entre celles qui sont faites en pleine propriété et celles qui sont faites à titre de garantie.
Le second introduit une restriction sur les modalités de la délégation.
Il y a un principe général qui est celui de l’encaissement des recettes par le délégataire et une exception dans le cadre d’une « opposition fondée sur un privilège légal ».
Il semble donc que le mécanisme de délégation/cession de recettes spécifique à l’industrie du cinéma soit moins protecteur du créancier que la cession Dailly du Code Monétaire et Financier qui peut également porter, rappelons-le, sur le sort des recettes futures même au titre de contrats non encore conclus.
D’abord il y a une confusion de terme entre délégation et cession.
On ne comprend pas bien dans le CCIA la différence entre l’un et l’autre et les deux termes ont tendance à être employés indifféremment dans la pratique.
Ensuite, le L.313-24 du Code Monétaire et Financier précise bien que le transfert de propriété intervient même si la cession est faite à titre de garantie (solution confirmée par l’arrêt cœur défense du 28.02.2013 (Cour d’Appel de Versailles).
Or, cette précision n’existe pas dans le L.123-1 du CCIA et de surcroit il existe un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 19.02.2009 qui confirme cette distinction entre cession en pleine propriété ou cession à titre de garantie en précisant : « il demeure que cette cession était faite à titre de garantie complémentaire du nantissement des éléments corporels e incorporels du film ; que la cession n’étant stipulée qu’à titre de garantie n’a pas eu pour effet de sortir du patrimoine d’Euripide Productions son droit sur les créanciers de recettes à provenir de l’exploitation du film ».
Cette solution apparait avantageuse pour la procédure qui va alors pouvoir utiliser ou bien la restriction du L.124-2 c’est-à-dire l’opposition fondée sur un privilège légal pour empêcher l’encaissement par le délégataire, ou bien laisser faire cette encaissement mais réclamer au délégataire la restitution de tout ou partie des fonds si des créanciers priment son nantissement (ce peut être le super privilège de l’AGS ou le Trésor).
Mais curieusement, la Cour ne va pas jusqu’à tirer cette conséquence de ses propres constatations et elle consacre dans la suite de l’arrêt le droit du distributeur d’appréhender les recettes et de les conserver sur le fondement d’un raisonnement original qui constitue l’œuvre elle-même comme la source du droit à recettes.
Je vous cite ce que dit la Cour :
« Que le distributeur ne détenait aucune créance sur le producteur « … » ; qu’il s’agissait pour le distributeur d’un investissement sur risque « « … » et de la mise en œuvre d’un mécanisme d’amortissement de l’investissement du distributeur dans le financement du film ».
En résumé la Cour raisonne comme si, nonobstant le flux comptable du distributeur au producteur, l’apport des fonds avait été fait à l’œuvre elle-même et pas à la société de production défaillante.
J’achève mon propos en soulignant l’originalité de cette solution qui n’a pas son équivalent dans aucun domaine d’activité (on n’imagine pas, par exemple, que pour la construction d’un ouvrage ou d’un bâtiment auquel auraient contribué plusieurs parties, la Cour retienne ce type de solution).
Je ne peux m’empêcher de voir dans cette solution une déclinaison juridique de cette intuition artistique selon laquelle l’œuvre échappe à ses auteurs.
Julie LAVOIR